Points de repère historiques
La séquence vise à apporter des points de repère historiques sur la laïcité dans le but de comprendre l'origine du terme et l'évolution qu'il a pu avoir. Elle fait apparaître que cette notion n'est pas une conception nouvelle liée aux récentes actualités, mais un principe fondateur de la République française, et qu'elle est en constante construction. Comprendre l'histoire, c'est mieux comprendre et appréhender le présent.
De Clovis à la révolution (498-1789)⚓
Le baptême de Clovis (498) fait du christianisme la religion officielle de la Gaule. Avec le règne des Carolingiens, notamment de Charlemagne, débute la monarchie de droit divin. Charlemagne est sacré empereur par le pape à Rome et soutient en retour l'Église financièrement et militairement. Lorsque le pouvoir de l'État éclate après la mort de Charlemagne en 814, la population se regroupe autour des seigneurs locaux. C'est la période féodale pendant laquelle l'Église représente la seule force organisée en place. Le pouvoir spirituel
En réaction, la monarchie française encourage l'autonomisation de l'Église de France vis-à-vis du Vatican, en vertu d'une doctrine qui prendra le nom de gallicanisme. Un pape français est installé en Avignon en 1309 par Philippe le Bel, et Charles VII abolit en 1438 les liens qui unissent l'Église de France au Saint-Siège. Les juifs, eux, sont interdits de séjour dans le royaume à partir de 1394. Au XVIe siècle, le développement du protestantisme déclenche les guerres de religion, auxquelles met un terme l'édit de Nantes, signé en 1598 par Henri IV. Sa révocation en 1685 par Louis XIV marque la fin de la tolérance religieuse officielle. Le culte protestant est interdit, provoquant l'exil de plus de 200 000 protestants.
La Révolution française (1789-1799)⚓
La Révolution française abolit la monarchie de droit divin. Elle marque une première étape de laïcisation de la France. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1789) garantit que « nul homme ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » et la liberté de culte est proclamée en 1791. Protestants et juifs deviennent des citoyens comme les autres. Le divorce civil est introduit et certains délits religieux (blasphème, sorcellerie, hérésie) supprimés. Les registres d'état civil sont retirés des paroisses et confiés aux officiers publics.
Avec la Constitution civile du clergé (1790), l'État décrète une réorganisation de l'Église catholique. Les congrégations religieuses sont supprimées et les biens ecclésiastiques nationalisés. Ce texte, condamné par le pape, provoque une scission au sein de l'Église de France. Sous la Terreur (1792-1794), toutes les religions sont remplacées par des cultes révolutionnaires. Trois mille prêtres et religieux sont tués, tandis que les soulèvements catholiques de Vendée sont réprimés dans le sang. La période révolutionnaire inaugure « la Guerre des deux France » qui va opposer jusqu'au XXe siècle les républicains et les partisans de la Restauration.
Du Concordat à la Commune (1801-1871)⚓
Pour rétablir la paix religieuse et les relations avec le Vatican, Bonaparte signe le 15 juillet 1801 un Concordat avec le pape. Le catholicisme romain est reconnu comme « la religion de la majorité des citoyens français » mais plus comme la religion d'État. L'Église de France est sous la double tutelle du Vatican et de l'État. Les ministres des cultes sont désormais rémunérés par l'État, en échange de quoi l'Église renonce à ses biens nationalisés en 1789. Prêtres et évêques doivent prêter serment au gouvernement. Les évêques, choisis par le ministre des Cultes, ne peuvent plus se réunir, ni sortir de leur diocèse sans autorisation de l'État. Le Concordat est étendu au protestantisme (cultes calviniste et luthérien) en 1802 et au judaïsme en 1808. Par ailleurs, le Code civil (1800-1804) confirme la priorité du mariage civil et la possibilité du divorce, et ouvre la porte à une autonomie de la médecine et de l'instruction, qui étaient jusqu'alors des monopoles de l'Église.
les prémices de la séparation (1879-1905)⚓
Après diverses tentatives de rétablissement de la monarchie, les républicains s'installent au pouvoir et entament un processus de laïcisation qui vise prioritairement l'École. Sur conseil de Jules Ferry, ministre de l'Instruction publique, le gouvernement prononce en 1880 l'expulsion des congrégations religieuses non autorisées par l'État. Cinq mille membres de congrégations sont expulsés des écoles. L'Église réagit vivement, en appelant parfois, comme à Orchies (Nord), à la grève des enfants ou en menaçant de les priver de première communion. Ces remous entraînent la démission du président du Conseil Charles de Freycinet, remplacé par Jules Ferry. Ce dernier poursuit son combat pour la laïcisation de l'École publique, qui devient gratuite (1881), puis obligatoire pour les enfants de six à treize ans (1882). L'enseignement religieux est exclu du temps de classe et remplacé par la morale civique. Les ecclésiastiques ne peuvent plus enseigner dans les écoles publiques (1886) et les crucifix en sont retirés. La laïcisation s'applique donc aux programmes, aux locaux et aux enseignants mais pas aux élèves. Les républicains ne vont pas non plus jusqu'à faire de l'enseignement un monopole d'État. Soucieux d'éviter la guerre civile, Jules Ferry accorde des concessions à l'Église. Il autorise l'enseignement religieux dans les écoles publiques mais en dehors des heures de classe. Il accepte que les crucifix soient laissés là où l'on s'oppose à leur retrait et il exhorte les instituteurs à respecter les convictions des parents. La stratégie de Ferry est de favoriser l'évolution des consciences plutôt que l'application à la lettre de la loi.
Un équilibre s'installe entre le gouvernement et l'Église, aidé par le pape Léon XIII, qui demande aux catholiques français de se rallier à la République. Cet équilibre est rompu par l'affaire Dreyfus (1894-1906), qui donne lieu à une campagne des catholiques et des royalistes contre la République. Le gouvernement riposte par une nouvelle offensive contre les congrégations religieuses. Suite à la loi de 1901 sur les associations, des centaines d'établissements religieux sont fermés par décret. En 1904, une nouvelle loi retire aux congrégations le droit d'enseigner, ce qui conduit à la fermeture de 2 500 écoles religieuses. Cette répression pousse à l'exil 30 000 à 60 000 religieux. La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican décide le gouvernement à prononcer la séparation des Églises et de l'État. Le 10 novembre 1904, le chef du gouvernement, Émile Combes, dépose un projet de loi en ce sens mais, le lendemain, l'opposition dévoile que le ministre de la Guerre a fait réaliser 20 000 fiches sur les pratiques religieuses des hauts fonctionnaires et des gradés de l'armée. Ce scandale, connu comme « l'affaire des fiches », contraint à la démission le gouvernement Combes le 14 janvier 1905.
La loi de séparation (1905-1946)⚓
La préparation du nouveau projet de loi, confiée à la commission Buisson-Briand, donne lieu à des débats houleux au Parlement. Afin d'apaiser les esprits, Aristide Briand propose une loi de compromis, qui est adoptée le 9 décembre 1905. En abolissant le Concordat, ce texte signe « l'acte de décès du gallicanisme historique » (E. Poulat, historien). La liberté de conscience et de culte est proclamée, tandis que la discrimination religieuse et le trouble à l'exercice du culte sont interdits. L'État cesse de rémunérer les ministres des cultes, sauf dans les établissements fermés (hôpitaux, casernes, internats, prisons). Plus de 30 000 églises, temples et synagogues sont mis gratuitement à la disposition des communautés religieuses, à la condition qu'elles s'organisent sous forme d'associations cultuelles indépendantes. Bien que la loi de 1905 permette une autonomisation de l'Église catholique, cette dernière s'y oppose. Le pape Pie X la dénonce et interdit aux catholiques français de créer des associations cultuelles indépendantes. En 1921, les relations diplomatiques avec le Vatican sont rétablies et, en 1923, un compromis est trouvé avec l'Église de France, qui crée
des associations diocésaines respectant l'autorité hiérarchique de l'évêque. La loi de séparation n'est pas appliquée en Alsace- Moselle, alors sous gouvernement allemand. Quand ces trois départements redeviennent français, en 1919, ils conservent leur droit local issu du Concordat, ce qui est confirmé par la loi du 1er juin 1924 et par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 2013. Concernant les territoires d'outre-mer, la loi de 1905 est étendue à la Martinique, à la Guadeloupe et à La Réunion à partir de 1911. En revanche, elle ne s'applique pas en Guyane, qui reste, encore à ce jour, sous le régime de l'ordonnance royale du 27 août 1828. Enfin, elle n'est pas non plus appliquée dans les départements d'Algérie, où les autorités souhaitent conserver un contrôle sur le culte musulman. L'entre-deux-guerres voit également le développement de l'islam en métropole, avec l'immigration de travailleurs en provenance des colonies d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. En 1926 est inaugurée la Grande Mosquée de Paris, première mosquée de France métropolitaine, construite par l'État en hommage aux 70 000 soldats musulmans de l'Empire colonial tués pendant la Première Guerre mondiale.
les nouveaux défis de la laïcité (1946-2015)⚓
En réaction au régime de Vichy, qui s'était distingué par son antisémitisme et sa collusion avec une large frange de l'épiscopat, les constitutions de 1946 et 1958 proclament le caractère laïque de la République et réaffirment la liberté de conscience. L'État conforte la liberté d'enseigner, en accordant des subventions aux établissements privés sous contrat (lois de 1951 et 1959). En 1984, le gouvernement socialiste tente de mettre en place un système éducatif laïque et unifié intégrant l'enseignement privé. Devant la colère de la rue, ce projet est abandonné. Un siècle après les lois Ferry, l'École continue à cristalliser les débats autour de la laïcité.
En réaction au régime de Vichy, qui s'était distingué par son antisémitisme et sa collusion avec une large frange de l'épiscopat, les constitutions de 1946 et 1958 proclament le caractère laïque de la République et réaffirment la liberté de conscience. L'État conforte la liberté d'enseigner, en accordant des subventions aux établissements privés sous contrat (lois de 1951 et 1959). En 1984, le gouvernement socialiste tente de mettre en place un système éducatif laïque et unifié intégrant l'enseignement privé. Devant la colère de la rue, ce projet est abandonné. Un siècle après les lois Ferry, l'École continue à cristalliser les débats autour de la laïcité. C'est de nouveau le cas en 1989, quand éclate la polémique consécutive à l'exclusion de trois élèves voilées dans un collège de Creil (Oise).
Le Conseil d'État estime que le port du voile est compatible avec la laïcité et une circulaire invite les chefs d'établissement à statuer au cas par cas. D'autres « affaires du voile » poussent le président de la République, Jacques Chirac, à mettre en place en 2003 une commission « sur l'application du principe de laïcité dans la République. » Des vingt-six propositions de la commission Stasi, une seule est finalement retenue : l'interdiction des signes religieux ostensibles à l'école (loi du 15 mars 2004). Six ans plus tard, la loi du 11 octobre 2010 proscrit la dissimulation du visage dans l'espace public sur le double fondement de l'ordre public et des « exigences fondamentales du vivre-ensemble. » Ces questions continuent à faire débat, avec par exemple l'affaire Baby-Loup, qui défraie la chronique entre 2008 et 2014, suite au licenciement d'une salariée de crèche pour port du voile. Depuis plus de deux siècles, la question de la séparation entre le religieux et le politique n'a cessé de diviser la France. Aujourd'hui, les débats sur la laïcité se polarisent autour de l'islam, traduisant à la fois la visibilité grandissante de cette religion en France et l'inquiétude qu'elle suscite. Comme en 1905, le débat fait rage entre les partisans d'une laïcité libérale et les partisans d'une laïcité restrictive, qui souhaitent limiter la liberté de manifester sa religion. Il semble plus que jamais nécessaire de retrouver l'esprit d'apaisement et de compromis qui a présidé à la loi de 1905.
Pour aller plus loin⚓
Jean Bauberot, Histoire de la laïcité en France, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2013.